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Le quatrième facteur de production : rendre justice aux données

Données05-05-2021
Regroupement de personnes en forme de graphique circulaire.


Depuis Adam Smith, nous connaissions trois facteurs de production essentiels :

· la terre
· le travail
· le capital

Cependant, d’autres facteurs se sont disputé la quatrième place. À l’instar de Peter Druker, certains ont plaidé en faveur des « cadres » - ceux qui dirigent les ressources. Comme Joseph Schumpeter, d’autres ont plaidé en faveur des « entrepreneurs », c’est‑à‑dire ceux qui assemblent les ressources de manière nouvelle et innovante. D’autres encore ont proposé d’autres facteurs à prendre en considération. Mais, dans l’ensemble, la définition fournie par Adam Smith a été remarquablement durable pendant plus de deux siècles. Lorsqu’on demande quels sont les facteurs de production, la plupart d’entre nous répondent invariablement et par réflexe : la terre, le travail et le capital.

Cependant, si Adam Smith revenait aujourd’hui et qu’il observait certaines des sociétés qui ont le plus de valeur et qui sont les plus dynamiques de notre époque – soit les géants du numérique que sont Google, Facebook, Netflix, Twitter, Spotify, Amazon et d’autres – il se gratterait un peu la tête. En fait, il se gratterait beaucoup la tête. Bien sûr, il verrait que la terre et le travail constituent des facteurs de production dans une faible mesure, mais pas assez pour justifier les sommets vertigineux – et l’influence et le pouvoir incroyables – des géants du numérique. Il y verrait aussi un peu de capital, mais étonnamment, ce capital serait en grande partie un sous-produit de la « production », et non, dans l’ensemble, le moteur de la production.

En observant les entités qui avaient le plus de valeur et qui étaient les plus puissantes de la planète à son époque, Smith aurait sûrement remarqué la place qu’occupent les gens et donc, qu’il y a avait beaucoup, beaucoup de travail. Il aurait vu la terre. Il aurait également vu le capital sous la forme de navires bâtis et d’outils, ainsi que de ressources naturelles extraites, puis raffinées. Encore une fois, Smith aurait vu beaucoup, beaucoup de travail. Il aurait vu des choses tangibles qu’il pouvait toucher.

Par contre, s’il était l’un de nos contemporains, Adam Smith ne verrait que des quantités négligeables de gens et de terres dans les plus grandes entreprises d’aujourd’hui. Rien, en tout cas, qui montre de quelque manière que ce soit leur valeur, leur statut ou leur pouvoir. Et, ce qui est peut-être le plus surprenant, c’est que ces entreprises « consomment » relativement peu de capital.

Que se passe-t-il donc?

Cerveaux? Ordinateurs? Numérique? Algorithmes? Informatique en nuage?

Oui, c’est tout ça, mais bien plus encore.

Mais ce qui se passe fondamentalement relève du quatrième facteur de production.

Les données.

Les données comme facteur de différenciation

Les données sont devenues le bien le plus précieux de la planète. Les flux de données ont plus de valeur que les ressources naturelles. Ils sont plus précieux que les installations de fabrication, la terre et la terre. Les données seraient‑elles le nouveau pétrole? Le pétrole aimerait bien avoir cette chance.

Pourquoi?

Les données sont désormais le facteur de différenciation. Elles constituent désormais la principale valeur ajoutée. À l’heure où les ordinateurs, les logiciels, la puissance des microprocesseurs, le stockage, l’informatique en nuage et les algorithmes deviennent tous – ou tendent tous à devenir – des produits de base, c’est la quantité et la qualité des données qui permettront de distinguer les entreprises performantes des entreprises médiocres. Pour éviter de devenir un produit de base – et vous ne voulez jamais être un produit de base, car cela signifie que vous ne pouvez ajouter de la valeur qu’en abaissant vos prix –, vous avez besoin de données meilleures et plus nombreuses que l’entité à côté de vous.

Spotify est une société de données qui s’occupe de musique. Netflix est une entreprise de données qui s’occupe de vidéo. Google est une société de données qui s’occupe de beaucoup de choses. Il en va de même pour Amazon et Facebook.

L’informatique, le calcul, les communications, les logiciels et la distribution numérique sont tous, ou deviennent rapidement, des produits de base. Les algorithmes ont encore une valeur différenciatrice, mais à mesure que les progrès de l’intelligence artificielle se poursuivent, ils deviendront eux aussi invariablement des produits de base. Ce sera alors la qualité et la quantité des données qui ajouteront réellement de la valeur à la production au fil du temps.

Données et administration publique

Qu’est‑ce que les données ont à voir avec l’administration publique? Eh bien, beaucoup choses.

Premièrement, l’administration publique doit s’imprégner des données. L’administration publique d’aujourd’hui fonctionne encore, relativement parlant, sans données. Les États utilisent des instruments politiques rudimentaires parce que leurs administrations publiques respectives ne disposent pas de la granularité des données – en temps réel – dont disposent les géants mondiaux du numérique.

Lorsque vous manquez de données exploitables en temps réel, vous devez estimer. Vous faites des approximations. Vous devinez. Cette méthode fonctionnait dans un monde où les données exploitables en temps réel n’existaient pas ou étaient extrêmement coûteuses à actualiser. Mais ce n’est pas le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Le monde d’aujourd’hui est un océan de données. La planète et ses habitants sont devenus une énorme machine à produire des données. Et chaque jour, la machine à données grossit.

Tout ce que vous faites dans l’espace numérique génère des données. De plus, comme vous migrez de plus en plus votre vie vers l’espace numérique, vous émettez de plus en plus de données, par exemple lorsque votre montre indique le rythme de votre cœur qui bat ou chaque fois que vous écoutez une chanson sur Spotify, regardez un film sur Netflix, commandez un colis sur Amazon, ou contentez votre curiosité sur Google. Votre moi numérique est un flux infini de données. Il n’est encore qu’un bambin comparé aux données que produiront votre adolescent numérique et votre adulte numérique dans les années à venir.

À l’heure actuelle, l’administration publique n’utilise pas les données comme le font les géants du numérique. Les données ne sont généralement pas considérées comme un facteur de différenciation. L’administration publique sait qu’elles sont importantes, mais dans l’ensemble, elle ne les utilise pas à des fins de politiques publiques et d’intérêt général, dans une mesure comparable aux données utilisées à des fins commerciales. Au fil du temps, ce fossé nous portera préjudice à tous et fera de l’administration publique un dinosaure. Nous devons mieux comprendre le pouvoir et l’application des données, et ce, rapidement.

Deuxièmement, l’administration publique s’occupe depuis longtemps des facteurs de production. La terre, le travail et le capital constituent la substance même de l’État et, pour cette raison, ils font partie intégrante de l’administration publique. Alors que les données deviennent le quatrième facteur de production, l’appareil de l’administration publique de l’État moderne est-il prêt à gérer les données? L’administrateur public chargé de l’inspection des aliments, de la protection des frontières ou de l’exécution des programmes maîtrise-t-il les données dans son domaine comme le font les géants du numérique ?

Jusqu’à maintenant, l’administration publique avance en grande partie à tâtons et tire de l’arrière. Le fossé est plus profond que nous ne voulons l’admettre. La façon dont l’État politique utilise ses capacités est une question à débattre publiquement. Par contre, lorsque l’État administratif manque de capacité, c’est une crise de l’administration publique. Si notre administration publique est incapable de gérer les données, nous aurons choisi notre destin politique par défaut. Nous aurons choisi de procéder par estimations dans les services publics, pendant que d’autres travaillent avec des données exploitables en temps réel.

Conclusion

Les facteurs de production changent. Même si les données ne sont pas encore le quatrième facteur de production, le jour où nous réaliserons qu’elles le sont ne devrait cependant pas tarder à arriver.

L’État administratif est-il prêt? Comprenons‑nous le pouvoir des données? Comprenons‑nous comment l’utiliser pour servir des objectifs de politique publique? Savons‑nous comment les réglementer pour le bien public? Disposons‑nous des systèmes nécessaires pour saisir les données, sauvegarder celles que nous saisissons et les protéger de l’utilisation par des acteurs non étatiques?

Telles sont les questions qui se posent aujourd’hui à l’administration publique. Plus vite nous y répondrons, mieux les administrateurs publics seront en mesure de servir leurs décideurs politiques et les populations de leurs États.

Pour ce genre de questions, le temps joue contre nous.


Cours

· Série Découverte : Découvrez les données

· Le rôle des données dans un gouvernement numérique (DDN301)

· Prendre des décisions basées sur les données (DDN307)

Taki Sarantakis

Taki Sarantakis

Taki Sarantakis is President of the Canada School of Public Service / Taki Sarantakis est président de l'École de la fonction publique du Canada

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